Un mercredi de Saint-Nicolas comme les autres sauf que… des parents d’enfants autistes ont trouvé porte close, à 9H du matin, au Centre Alissa d’Aubry-du-Hainaut. Une ligne d’arrivée dont l’origine remonte a plus de 18 mois, et qui n’a rien à voir avec un concours de circonstances incroyables. Comment en est-on arrivé là ? Reportage sur un bug annoncé au centre Alissa pour autistes dont la gestion est confiée depuis l’origine à l’association AFG Autisme.
(Bénédicte, Valentine, et Patrick Bera)
Patrick Bera, parent d’un enfant autiste : « C’est un appel au secours pour nos enfants ! »
Depuis 2012, un SESSAD a vu le jour sur Aubry-du-Hainaut. Certes, le local fourni gracieusement par la commune d’Aubry-du-Hainaut constituait une première étape, car l’objectif d’un nouveau centre à la hauteur de l’enjeu était dans les cartons. Avec l’appui de la sénatrice Valérie Létard, de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, le projet Alissa s’est concrétisé avec la construction d’un superbe établissement sur la même commune. Cette histoire fut rendu[e] possible grâce à l’agrégation d’une association de gestion, l’AFG, spécialisée dans l’exploitation des centres pour autistes.
NDLR : « l’exploitation des centres pour autistes » !
L’ouverture de ce nouveau centre, avec 10 places pour l’IME, et 20 places pour le SESSAD, s’est déroulée en décembre 2015, jamais une inauguration n’a eu lieu. Par contre, parents et professionnels sont unanimes sur la qualité de cet équipement, c’est une pépite rare. Odile Dewever, la directrice à l’époque, a porté ce projet durant des années, puis en juillet 2016 est partie via une rupture conventionnelle. Depuis cette date, aucun recrutement n’est intervenu pour remplacer un poste à responsabilité en charge d’une dizaine de professionnels, pour chaque service composé en partie de personnel éducatif et paramédical pour l’IME et le SESSAD. Et la fin de l’histoire est… « aucun accueil ce mercredi à 9H, il a été retardé. Ce ne fut qu’une garderie au final, aucune prise en charge de notre enfant Valentine. A midi, un camion est venu livrer des pizzas… », commente Bénédicte Bera. « Lorsque vous êtes devant une porte close d’un centre pour l’accueil des enfants en IME, voire SESSAD, vous vous posez des questions ! », poursuit-elle.
Rappelons que l’univers idéal d’un enfant autiste est « de ne surtout pas le chambouler dans ses habitudes, rencontrer au quotidien les mêmes personnes si possible. Je ne sais pas qui va accueillir mon enfant le matin, et qui va me le rendre le soir. Compliqué pour un enfant autiste », précise Bénédicte Bera
Isabelle Jadas, présidente du CVS (Conseil de la Vie Sociale *) : « Il est anormal que ce centre n’
est[ait] pas de direction depuis 18 mois !»
Cette situation vient sanctionner une gestion des effectifs troublantes par l’AFG. « Elle découle d’une vacance de la direction. Il n’y a pas de capitaine dans le bateau depuis 18 mois ! », commente Patrick Bera. De plus, la situation s’est accélérée ces derniers mois. De juillet 2016 à juillet 2017, la chef de service était devenue la directrice par intérim. « Elle avait toujours indiqué qu’elle ne voulait pas, à terme, devenir la directrice du Centre Alissa. Pourtant, la direction d’AFG a obtenu son accord pour prendre ce poste cet été. Depuis septembre 2017, elle est en arrêt maladie, ou plutôt en burn-out », souligne Patrick Bera. « Je pense que l’on ne la reverra plus du tout », ajoute Bénédicte Sera.
La conséquence directe est une accélération des difficultés « depuis ce mois de septembre. Les arrêts maladie tombent en cascade, la seule cadre (la psychologue) est toujours en formation, ou en réunion, et se trouve régulièrement absente (comme aujourd’hui, voire revenue en catastrophe) », ajoute Patrick Bera.
Isabelle Jadas, présidente du CVS (Conseils de la Vie Sociale) claque sans détour : « Il est anormal que le Centre Alissa n’est [ait] pas de direction depuis 18 mois. L’AFG minore la situation, tout se passe bien selon eux. En juillet 2016, ils ont voulu tout simplement récupérer le contrôle ! »
« A force de tirer sur la corde, nous sommes à bout. Cette situation nous déchire. On colmate depuis des mois. Nous sommes en autonomie depuis 18 mois. Bien sûr, les problèmes se sont accentués depuis septembre 2017 et l’arrêt de la chef de service. Elle avait toujours indiqué qu’elle ne voulait pas embrasser la fonction de direction », explique Sylvie (un pseudo), une salariée du Centre Alissa. « D’un autre coté, je n’ai jamais connu une défaillance vis à vis de mon enfant », souligne Anne-Laure Lemoine, un parent d’enfant autiste. Ce factuel constitue l’élément tangible sur lequel s’appuie AFG ! Cela permet du coté de Paris de se dire-Tout va bien à Aubry, car « l’AFG compte sur notre conscience professionnelle pour faire face à leur carence de management », précise Patricia (un pseudo), une autre salariée.
La direction de l’AFG, non joignable ce mercredi 06 décembre, évoque devant les parents une difficulté à recruter une compétence en charge du Centre Alissa sur Aubry-sur-Hainaut. On pourrait prendre pour argent comptant cet argument quelques mois plus tard, mais 18 mois…c’est étonnant, car la chef de service promue cet été ne voulait pas de ce poste. AFG le savait d’où son arrêt maladie dans la foulée… ! D’ailleurs, chose surprenante « on nous dit qu’un recrutement est en cours. Aujourd’hui, 06 décembre, vous n’avez aucune annonce d’offres d’emploi pour le Centre Alissa sur leur propre site internet, alors qu’ils en existent pour d’autres structures », poursuit Patrick Bera.
Anne-Laure Lemoine, vice-présidente du CVS : « C’est un travail dans l’humain, on ne peut pas tout gérer avec des chiffres »
Une salariée du Centre Alissa est plus tranchante « les enfants, aujourd’hui, étaient accueillis dans des conditions d’insécurité de prise en charge. C’est violent aussi pour nous cette situation. Les parents, les enfants, ce travail demande beaucoup d’humanité ». Elle étale un exemple concret : » En septembre, on nous promet un financement pour nos animations de fin d’année. Deux mois plus tard, plus de budget, que faisons-nous ? » Plus éloquent encore » un paramédical n’a plus de poste informatique depuis un an ! », indique un parent. Quand on connaît l’utilité des outils informatiques, écrans, tablettes etc. dans la gestion au quotidien des enfants autistes, on se pince !
Le factuel est palpable, il y a eu « 4 démissions d’intervenants paramédicaux, une psychométricienne, une assistance sociale, la psychologue de l’IME, l’orthophoniste », relate Patrick Bera dans un courrier envoyé à Brigitte Macron, très engagée sur le Plan Autisme.
Pour l’ensemble des parents interviewés, c’est « une solidarité avec l’équipe, elle est en souffrance ». Patrik Bera, ajoute « on comprend leur situation. AFG est dans le déni total, c’est bien sa gestion qui est en cause. C’est un appel au secours pour nos enfants ! ».
A la question « comment qualifiez-vous le management de l’association AFG ? ». Aucune hésitation, les époux Bera répondent de concert « inexistante ». Cette difficulté de recrutement serait-elle consécutive au management particulier d’AFG, mystère ?
La pensée va plus loin pour une salariée du Centre Alissa : « On souhaite être repris par l’APEI du Valenciennois. Forcément, l’enfant pâtit de cette situation. Il y a clairement une dégradation de la prise en charge. Un nouveau DRH est arrivé chez AFG, il est venu se présenter la semaine dernière, aucun commentaire sur notre situation». Anne-Laure Lemoine conforte cet impact « c’est 30 enfants, 60 parents, voire les familles. AFG impose plus qu’il n’écoute. C’est un travail dans l’humain, on ne peut pas tout gérer avec des chiffres ! ».
Pour les parents, l’avis est plus neutre sur l’identité d’un futur gestionnaire, mais les époux Bera, Isabelle Jadas, et Anne-Laure Lemoine partagent le même avis : « Nous ne sommes pas hostiles à une reprise par une autre structure en capacité de gérer le Centre Alissa ».
Les échos hors les murs
Bien sûr, une situation de management douloureuse transpire de tout son corps hors les murs, et jusqu’ aux oreilles de la première magistrate, Renée Stievenar. « J’ai eu un écho très récent de cette situation par un parent d’enfant autiste. J’ai de suite alerté le Sous-Préfet. Il a dans les meilleurs délais diligenté un audit de l’ARS qui fut positif, l’accueil et les repas étaient assurés, les enfants n’étaient pas en situation d’insécurité. Pour autant, une salariée m’a signalé également les problématiques internes au Centre Alissa ».
Ce constat factuel, et indépendant, est même ce qui permet du coté de Paris de se dire que tout se déroule bien à Aubry-du-Hainaut, tout va bien Mme la Marquise… ! Les parents s’inquièteraient pour rien, les salariés seraient dans le coton, les enfants évolueraient dans la félicité, certes dans un bâtiment superbe. On roule en sens inverse de l’autoroute et tant que personne ne vient vous heurter de face… ! « On va droit dans le mur avec ce management chaotique », conclut une salariée du Centre Alissa.
L’AFG aurait, dès ce jeudi 07 décembre, réagit avec l’embauche d’un cuisinier, une éducatrice en intérim, et une autre en provenance de Fourmies. Bien, mais tout cela démontre une gestion en réaction de l’association de gestion AFG.
Tout peut se résumer en une conversation, ou absence de dialogue. En effet, une visioconférence entre les parents et l’AFG est édifiante, jugez plutôt. Le 11 septembre 2017, les parents des enfants autistes ont eu une visioconférence avec Celine Jaret Lederf , Directrice du Pôle Coeur de Métier chez AFG Autisme. « Nous avons assisté à 45 minutes de monologue. Puis, à la fin, nous avons demandé à poser des questions à Mme Lederf. La réponse fut- j’ai 4 minutes à vous consacrer- ! », assène Patrick Bera. Tout est dit, lorsque vous ne prenez plus le temps d’écoute avec des parents d’enfants autistes face à leur inquiétude légitime en l’absence d’une direction depuis 18 mois, vous êtes en réaction uniquement et plus en amont des problématiques du quotidien. Patrick Bera synthétise l’angoisse des parents : « L’AFG attend-t-il un incident, voire un accident pour un de nos enfants ? Ce n’est plus l’AFG Autisme, c’est l’AFG Mutisme ! ». Une lettre qui fait toute la différence.
Pour une note de conclusion optimiste, l’outil de travail est magnifique, l’équipe formidable, les enfants merveilleux. Il suffirait de mettre un peu de carburant dans le moteur, un peu d’humanité dans cette gestion, et tout pourrait se dérouler dans le meilleur d’un monde pour un enfant autiste, surtout sans perturbation quotidienne !
Bien le bonjour du pays des gueux… autistes pour certains !
Daniel Carlier
* Le conseil de la vie sociale est une instance qui vise à associer les usagers au fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux, une instance mise en place par l’ARS (Agence Régionale de Santé)
Publié par Daniel Carlier le 6 décembre 2017
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