« La France a cinquante ans de retard » : le « scandale d’Etat » du « traitement » de l’autisme en France (via l’AFFA, via « The Guardian »)

Source : https://femmesautistesfrancophones.com/2018/02/09/la-france-a-cinquante-ans-de-retard-le-scandale-detat-du-traitement-de-lautisme-en-france/


NDLR : L’article original utilise l’expression « traitement  de l’autisme ».
La rédaction de « L’Autisme Vaincra » désapprouve cette terminologie, car les autistes n’ont pas à être « traités », et l’autisme, encore moins. Nous mettons donc le mot « traitement » entre guillemets dans le titre.
Nous avons corrigé d’autres tournures selon nous impropres, comme nous le faisons dans tous nos articles.
Malgré cela, nous souhaitons partager cet article réalisé par « The Guardian » et traduit en français par Aurelia Peyrical pour l’AFFA (Association Francophone des Femmes Autistes).  


« La France a cinquante ans de retard » : le « scandale d’Etat » du « traitement » de l’autisme en France

Angelique Chrisafis pour The Gardian, 08 fev 2018
Traduction : Aurelia Peyrical pour l’AFFA
Article original : ‘France is 50 years behind’: the ‘state scandal’ of French autism « treatment »

L’influence de la psychanalyse en France est responsable d’une situation dans laquelle des enfants autistes sont non diagnostiqué-e-s, placé-e-s dans des unités psychiatriques et parfois même retiré-e- s à leurs parents.

Comme des milliers d’enfants français dont les parents suspectent qu’ils ou elles sont atteint-e-s d’autisme (NDLR : autistes), le fils de Rachel, âgé de six ans à l’époque, a été placé par l’État dans le service psychiatrique d’un hôpital de jour. L’équipe de l’hôpital, formée à la psychanalyse post-freudienne, n’a pas posé de diagnostic clair.

Rachel, qui vit dans un petit village à l’extérieur de la ville de Grenoble, dans les Alpes, a exprimé son souhait d’aller faire suivre ailleurs ses trois enfants. L’hôpital a alors appelé les services sociaux, qui ont menacé de lui retirer ses enfants.

Un expert psychiatre a affirmé que Rachel fabriquait les symptômes de ses enfants pour attirer l’attention, qu’ils n’étaient pas autistes, et qu’elle voulait qu’ils soient atteints de troubles du spectre autistique pour se rendre intéressante.

Les enfants de Rachel lui ont été retirés et ont été placés en familles d’accueil.

Par la suite, ces enfants ont été diagnostiqués autistes, et porteurs d’autres pathologies. Rachel avait donc raison. Mais deux ans plus tard, et malgré une bataille judiciaire intense au cours de laquelle des groupes de parents ont dénoncé « la vision préhistorique de l’autisme en France », Rachel, qui est elle-même porteuse du syndrome d’Asperger, n’a toujours pas recouvré la garde de ses enfants. Ils se trouvent encore en famille d’accueil et elle ne dispose que de droits de visite limités. Les autorités locales persistent à dire que c’était la bonne décision.

« Je suis condamnée à rester impuissante face à la perte de ma famille », écrivait-elle après leur dernière visite à Noël. Elle craint que ses enfants n’aient régressé au cours de ce placement. « Je suis détruite, mes enfants sont détruits. »

L’« affaire Rachel », qui se poursuivra cet été par une nouvelle bataille juridique en cour d’appel, est devenu le symbole de ce que les associations de parents appellent un « scandale d’Etat » dans le « traitement » des enfants autistes en France. La crise est si aiguë que le président centriste Emmanuel Macron a estimé qu’il s’agissait là d’un « défi civilisationnel » urgent, et a promis la mise en place d’un nouveau plan autisme qui devrait être annoncé dans quelques semaines.

Le dernier rapport des Nations Unies estime que les enfants autistes en France « continuent d’être soumis fréquemment à la violation de leurs droits ». L’État français a été forcé de payer des centaines de milliers d’euros de dommages et intérêts aux familles pour traitement inapproprié des enfants autistes au cours des dernières années.

L’ONU a constaté que la majorité des enfants avec autisme (NDLR : autistes) n’avaient pas accès à une scolarisation classique  et que beaucoup  « reçoivent  encore  des  thérapies  psychanalytiques  inefficaces,  des médications excessives, et sont placé-e-s en hôpital psychiatrique ou en institution spécialisée. » Les parents qui s’opposent au placement de leurs enfants « sont intimidés et menacés, et, dans certains cas, on leur retire leurs enfants. »

Les  associations  de  familles et personnes autistes  en  France  se  plaignent  que  les  adultes  autistes  soient enfermé-e-s dans des hôpitaux, que les enfants n’aient pas accès à une évaluation diagnostique et que l’approche psychanalytique post-freudienne, qui se focalise non pas sur l’éducation mais sur les sentiments inconscients de l’enfant autiste vis-à-vis de sa mère, soit toujours répandue.

Une loi, votée en 2005, garantit pourtant à tout enfant le droit à une scolarisation normale. Le Conseil de l’Europe a condamné la France pour ne pas l’avoir respectée. Des associations estiment qu’en France seulement 20 % des enfants autistes suivent une scolarité normale à l’école, alors que ce chiffre atteint 70 % en Angleterre.

« La France a 50 ans de retard en ce qui concerne l’autisme », affirme Sophie Janois, l’avocate de Rachel. Son livre, La cause des autistes, publié ce mois-ci, tire la sonnette d’alarme sur les abus auxquels sont confrontées les personnes autistes privées de leurs droits. « On dit aux parents : oubliez  votre  enfant,  faites-en  le  deuil  et  acceptez  le  fait  qu’il  ou  elle  soit  placé-e  en institution. » »

« En toile de fond, il y a un problème culturel en France », affirme Janois. « La France est le dernier bastion de la psychanalyse. Dans les pays voisins, les méthodes éducatives et les thérapies comportementales sont la norme, et la psychanalyse a été abandonnée il y a longtemps. En France, l’approche psychanalytique continue d’être utilisée pour les enfants autistes et la psychanalyse est toujours enseignée à l’université. »

Elle explique que des parents ont du mener une bataille administrative sans relâche pour faire respecter les droits de leurs enfants. « Il y a des parents d’enfants autistes qui se suicident… au moins 5 au cours des 2 dernières années. »

En France, la polémique concernant la psychanalyse post-freudienne et l’autisme a été âpre. Il y a dix-huit mois, un groupe de députés a essayé sans succès de faire interdire par le parlement l’usage de la psychanalyse dans le traitement des enfants autistes. Leur argumentaire ciblait  la conception « dépassée » de l’autisme telle que le rejet inconscient par l’enfant d’une mère froide, qu’on a aussi parfois appelée « mère-frigidaire», croyance qui revenait à refuser aux enfants une aide dans leur scolarité.

Les psychanalystes, qui ont un rôle puissant et influent dans le domaine de la santé mentale en France, ont critiqué la campagne en la traitant de « dangereuse » et de diffamatoire.

En 2012, la Haute Autorité de Santé a explicitement déclaré que la psychanalyse n’était pas recommandée comme méthode de traitement exclusif pour les personnes autistes à cause d’un manque de  consensus  concernant son  efficacité. Malgré cela la  plupart des hôpitaux utilisent toujours ces méthodes.

Les Nations Unies ont en outre mis en garde, en 2016, contre le fait que la technique dite du « packing » – dans laquelle des enfants autistes sont enroulé-e-s dans des draps froids et mouillés – constituait une « maltraitance ». Malgré cela elle n’a pas été légalement interdite et serait, selon certaines sources, « toujours pratiquée » sur certain-e-s enfants avec autisme. Le ministère de la santé de l’époque a diffusé un moratoire demandant à ce que la pratique soit abandonnée.

Les parents insistent sur le fait que d’excellents professionnel-le-s existent en France, mais sont encore peu nombreux-euses et très sollicité-e-s. Les services sont inégaux et varient selon les régions.

« Les autorités locales m’ont dit « Pourquoi insistez-vous pour qu’il aille à l’école ? Mettez-le dans une institution. » », a confié une autre mère, qui réside près de Tours, à propos de son enfant autiste à haut niveau de fonctionnement, âgé de sept ans, qui s’en sort très bien scolairement. « En France, il y a l’autisme des pauvres et l’autisme des riches. Si je n’avais pas eu l’argent et les compétences pour me battre, mon fils aurait fini dans un hôpital psychiatrique. »

 Si je ne m’étais pas occupée de lui, je crois qu’il serait dans un hôpital psychiatrique pour adulte, attaché, sous traitement médicamenteux » Catherine Chavy

Le fils de Catherine Chavy a vingt ans. Lorsqu’il était enfant il a été partiellement pris en charge dans un hôpital psychiatrique public qui utilisait une approche psychanalytique. Son autisme est resté non-diagnostiqué pendant des années. Chavy s’est battue pour un diagnostic et pour qu’il entre à l’école primaire, puis plus tard pour trouver un centre utilisant des méthodes éducatives et comportementales. Là-bas Adrien s’est épanouit. Arrivé à l’âge de 15 ans, il n’y avait plus de centre adapté à ses besoins. Elle a alors organisé hors-structure un soutien permanent pour lui à la maison.

« Il cuisine, il fait du sport, il va chez sa grand-mère pour le déjeuner. Il a une vie agréable, il sort tous les jours. Si je ne m’étais pas occupée de lui, je crois qu’il serait dans un hôpital psychiatrique pour adulte, attaché, sous traitement médicamenteux », confie-t-elle. « La situation en France est un scandale sanitaire et éducatif. »

Pascale Millo a monté une association de parents d’enfants autistes en Corse. Elle a un fils de 14 ans, qui s’appelle Adrien lui aussi, et qui a un autisme à haut niveau de fonctionnement et une dyspraxie. L’État l’a mis dans un hôpital psychiatrique de jour pendant des années, mais Millo n’a pas obtenu de diagnostic avant ses neuf ans. Adrien est fort à l’école mais sa mère a dû se battre pour faire respecter son droit à faire tous ses devoirs sur ordinateur en tant qu’enfant dyspraxique. Elle a dû l’entraîner et le soutenir elle-même, sans jamais être certaine, d’un mois sur l’autre, que le manque de soutien du système éducatif n’allait pas signifier l’arrêt de ses études. « En théorie, la France a tout : un financement public, et des lois pour nous protéger, rappelle-t-elle. Mais ces lois ne sont pas respectées. »

Vincent Dennery, à la tête d’un  collectif d’associations de parents d’enfants autistes, a déclaré nourrir l’espoir de mesures pratiques et concrètes dans le plan autisme de Macron. Il espère que l’on va passer d’une approche médicalisée à une approche éducative. « Il y a toujours des centaines d’enfants autistes dans les unités psychiatriques de jour qui n’ont aucune raison d’être là, mais leurs parents ne trouvent pour le moment aucune autre solution. », explique-t-il.

Dennery pense que la société doit changer radicalement. « Culturellement, la société française a été un lieu d’exclusion. De nombreuses autres sociétés ont arrêté de médicaliser le handicap ou la différence pour en venir à inclure ces personnes dans la vie ordinaire, mais pas la France. »

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