Les adultes autistes sont accusés d’être de « faux autistes » depuis plus de 30 ans. Il est temps que cela cesse. J’ai rencontré et (…)
Source : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-plaie-des-faux-autistes-185906
La plaie des « faux » autistes
Les adultes autistes sont accusés d’être de « faux autistes » depuis plus de 30 ans. Il est temps que cela cesse.
J’ai rencontré et écouté toutes sortes de professionnels de santé ces derniers temps. Des gens bien, des gens moins bien. Dans cette dernière catégorie, certains défendent leur corporation avec tant de véhémence qu’ils sont persuadés que le syndrome d’Asperger serait une invention américaine, imposée de force dans leur précieuse CFMTEA (classification française des troubles mentaux) par de « faux » autistes et des chercheurs anglo-saxons leurrés. Le psychanalyste Jacques Hochmann va plus loin, dans un papier où il estime que la quasi-totalité des adultes qui demandent un diagnostic d’autisme enfileraient « un vêtement social, sous l’influence du communautarisme ». En d’autres termes, ils ne seraient pas autistes (Voir Jacques Hochmann, « Le communautarisme dans la bataille de l’autisme », PSN, vol. 14, no 3, , p. 7-17, résumé)
Cette petite catégorie de « psys » français reste sur l’idée que l’autisme concernerait uniquement des enfants mutiques, et disparaîtrait par on ne sait quel miracle à l’âge adulte. Certains s’opposent avec force à la notion de « spectre » autistique, pourtant définie depuis 1981 par Lorna Wing et acceptée dans le monde entier, en disant que la notion d’autisme est devenue « trop extensive » ! On se croirait dans un village d’irréductibles psys gaulois cerné par l’envahisseur ! Sauf que ce village gaulois n’a pas raison contre le monde entier. Et que les notions psychanalytiques de psychoses infantiles, et autres dysharmonies psychotiques, toujours d’usage en France, ont plus que fait leur temps. Il est temps, plus que temps de les enterrer. De préférence sans douleur !
Petit cours d’Histoire.
Dès qu’un autiste adulte prend la parole, il est accusé de « ne pas être assez autiste », d’avoir « guéri » de l’autisme, ou d’être un imposteur. C’est une quasi-constante, tout au long de ces 30 dernières années. Lorsque Temple Grandin a écrit son autobiographie Emergence en 1986, Bernard Rimland l’a préfacée en la présentant comme… « le premier livre écrit par une personne qui a guéri de l’autisme » (voir : Ma vie d’autiste, Paris, Odile Jacob,).
Lorsqu’Oliver Sacks en a entendu parler, il a soupçonné Temple Grandin d’avoir fait appel à un nègre pour écrire son autobiographie, considérant impossible qu’une femme autiste adulte ait un doctorat, vive d’un métier et soit capable d’introspection. Il a changé d’avis après l’avoir rencontrée en 1991, ce qui a débouché sur son ouvrage à succès Un anthropologue sur Mars. Il a eu la sagesse et l’intelligence de laisser évoluer sa position, de ne pas défendre à tous prix ses convictions antérieures (voir Steve Silberman, NeuroTribes : The Legacy of Autism and the Future of Neurodiversity, Avery, 2016, p. 429)
Lorsque Jim Sinclair a créé l’autism network international, et prononcé son discours à Toronto en 1993 :
« L’autisme n’est ni quelque chose qu’une personne a, ni une coquille dans laquelle elle se trouve enfermée. Il n’y a pas d’enfant normal caché derrière l’autisme. L’autisme est une manière d’être […]. »
… lui aussi a été accusé d’être un « faux » autiste, ou d’avoir guéri (voir : Brigitte Chamak, « Autisme et militantisme : de la maladie à la différence », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, no 68, 2009, p. 61-70 (lire en ligne)
Lorsque les quelques adultes autistes français qui ont le courage de prendre la parole le font (je ne vais pas tous les citer : Josef Schovanec, Hugo Horiot, Julie Dachez, etc), eux aussi sont accusés de ne pas être de vrais autiste. Ou alors, « de trop haut niveau » pour avoir le droit de parler d’autisme. Pire, on les accuse de donner envie à davantage d’adultes autistes de recevoir un diagnostic comme « vêtement social » , une « étiquette » d’autisme, après tout ils présentent l’autisme comme un truc tellement « cool », ça donne envie, non ?
J’ai moi aussi reçu cette accusation, et vais dévoiler ici une (petite) partie de mon histoire.
Mon pré-diagnostic de syndrome d’Asperger, je l’ai eu l’an dernier, à 32 ans. Auparavant, j’ai collectionné une série d’étiquettes farfelues, allant d’« enfant indigo » à « dysharmonie psychotique » (censée disparaître miraculeusement à l’âge adulte), en passant par des plus rigolotes, comme « syndrome du savant » et « syndrome de Peter Pan », ce qui emmerdait d’ailleurs beaucoup le « psy » qui m’a parlé de cela, puisque le syndrome de Peter Pan n’est pas censé exister chez les femmes… En fait, je lui avais dit que je prenais mes petits boulots de survie et certaines situations sociales comme un jeu de rôle, en « faisant semblant » d’être une adulte responsable.
Aucune de ces étiquettes ne m’a aidée. Pire, j’ai cru que j’avais un « sacré grain ». Encore pire, des adolescents ou jeunes adultes autistes ont reçu un faux diagnostic de schizophrénie, et toute la batterie de pilules rigolotes avec effet secondaires qui va avec. L’un de mes « psys » jurait par Saint Temesta, le Grand Assommeur, pour résoudre mes soucis de sommeil.
Recevoir enfin le bon diagnostic a été une libération. Une reconnaissance que mes hypersensibilité, mon équilibre pourri et mes difficultés de respect des codes sociaux n’étaient pas des inventions de ma part. Mais à cause de cette guéguerre de corporation de certains professionnels de santé, et même de certains parents contre la notion d’autisme « léger », nombre d’adultes n’ont pas cette chance. Ils continuent à se croire « fous », ou « gravement idiots ». Certains pourraient se tourner vers des sectes comme celle des enfants indigos, en espérant y trouver une réponse à leurs problèmes.
Il est temps de les prendre en considération.
Merci.
Tsaag Valren