La recherche sur l’autisme est aussi un combat féministe [Blandine Messager] (via L’AutistoÏde)

Source : https://lautistoide.wordpress.com/2016/04/04/la-recherche-sur-lautisme-est-aussi-un-combat-feministe


La recherche sur l’autisme est aussi un combat féministe*

Octopus brain

Je lisais ce soir un commentaire concernant une femme autiste, déjà assez connue sur les réseaux sociaux, qui dans ses vidéos s’exprime avec une aisance apparente et un énorme talent. Certains ont l’air de douter de la réalité de son autisme, du fait qu’elle semble à son aise pour parler devant une caméra. Pourtant, elle a été formellement évaluée et diagnostiquée par un centre compétent. Et quand elle parle du syndrome d’Asperger, il est clair qu’elle sait de quoi elle parle, de l’intérieur.

Pire : un(e) internaute se permet de lui poser un diagnostic sauvage, tout droit issu d’une pensée fortement teintée de formatage psychanalytique, ou tout comme. Bref, encore une « petite mauvaise odeur » à évacuer. Plus trivialement : un(e) con(ne) de plus qui s’improvise « diagnostiqueur »  comme d’autres font de la voyance sur photo. C’était si édifiant qu’elle en a fait des captures d’écran, relayées sur réseau social.

On se trouve là face au décalage entre l’état interne (le fonctionnement autistique) et l’état apparent (comportement, symptômes…). Nous sommes tous « intoxiqués » par des images médiatiques d’autistes aux symptômes visibles, qui nous font oublier que l’autisme est un fonctionnement cérébral particulier dont les symptômes peuvent se voir… ou pas. Ou encore : pas tout le temps. Car le fait d’avoir un intellect normal à surefficient permet, en certaines occasions, d’imiter de façon plus ou moins parfaite l’apparence d’une personne non autiste.

C’est une prouesse que je peux accomplir ponctuellement, et mieux quand j’avais la trentaine que maintenant, mais si je le juge nécessaire, je peux faire illusion (pas longtemps), faire semblant de parler de façon banale, me tenir physiquement sans laisser paraître l’étrangeté de ma gestuelle habituelle, et en surveillant mon langage pour qu’il paraisse ni trop pédant ni trop direct ni trop plat, en veillant à regarder un peu les gens dans les yeux entre les mots, à fixer un peu au moment de serrer la main… J’avais appris cela quand j’étais adolescente, pour m’intégrer socialement.

Mais ce qu’il faut savoir, c’est que si c’est possible, cela relève d’efforts très éprouvants et générateurs de grande fatigue. D’où des « burn out » répétés au cours de ma vie, en situations sociales et professionnelles (surtout en milieu pro) : on arrive à sauver les apparences en début de journée, puis ça se dégrade au bout de quelques heures et la situation s’aggrave au fil des semaines, des mois, jusqu’à ce qu’on se barre avant de claquer (et en claquant la porte), ou qu’on se fasse virer comme des malpropres (de l’entreprise, du couple, de chez les « potes »… etc.) par manque de diplomatie, incapacité à discuter de façon banale, par lenteur excessive, récurrence des sujets de conversations circonscrits aux intérêts restreints, honnêteté trop scrupuleuse, routines ou perfectionnisme incompatible avec le rendement exigé.

Quand sonnent les douze coups de midi, le carrosse redevient citrouille et les haillons réapparaissent.

Donc oui : dans certains cas, une personne autiste est tout à fait capable de se faire passer pour non autiste. En général, les femmes y arrivent mieux que les hommes. Mais à quel prix ?!

Je mets cette dissimulation des symptômes sur le compte de la pression sociale qui est plus forte sur les filles dès la naissance pour exiger d’elles de paraître « gentilles », polies, et constamment invitées à faire preuve de souplesse en société, d’élégance vestimentaire, de séduction… choses qu’on exige moins des garçons. Les formatages éducatifs sont différents selon le sexe. Et conséquence sexiste : les filles ayant appris dès leur plus jeune âge à cacher leurs particularités, leur diagnostic devient beaucoup plus compliqué pour les spécialistes, qui pour le moment ne savent se baser que sur les symptômes (donc les apparences).

Les formatages culturels concernent aussi les autistes. On le découvre d’ailleurs à notre époque : une éducation précoce permet aux autistes de manifester moins de symptômes. Il en va de même pour le conditionnement sexiste : plus la pression est forte sur l’autiste femelle et moins ses symptômes seront visibles. Si c’est un avantage par certains côtés (elles peuvent passer inaperçues, se fondre dans la masse, faire illusion…), c’est un handicap de l’autre (aussi lourd que le handicap autistique lui-même) : on s’écarte pour laisser passer l’aveugle s’il a une canne blanche et s’il n’en a pas, on le malmène, ne croyant pas en sa cécité, l’accusant d’imposture. Eh bien il en va de même de la femme Asperger : elle n’a pas de canne blanche alors on la traite comme si elle n’était pas autiste, on ne lui fait aucune concession et on lui demande de fournir des résultats semblables à ceux d’une personne sans autisme. Mais ça ne peut pas tenir longtemps. Et si elle affirme qu’elle se sait handicapée par son syndrome d’Asperger, on l’accuse d’imposture.

Raison pour laquelle je m’intéresse vivement aux avancées en imagerie du cerveau, en neurosciences qui permettront bientôt, je l’espère, de diagnostiquer l’autisme sur des bases organiques, biologiques et génétiques solides, au lieu de ces inventaires arbitraires de symptômes apparents, qui ne sont pas vraiment fiables, la preuve par les filles et femmes.

Nous vivons une époque sexiste où les critères de diagnostic de l’autisme ont été élaborés essentiellement sur des garçons, selon une approche culturelle machiste. Et ces listes de critères furent aussi établies par des hommes. Les filles et femmes sont les grandes oubliées de l’autisme, qu’on laisse encore croupir sans diagnostic sur des prétextes d’un autre âge, et le plus souvent avec des diagnostics hâtifs, erronés, hérités de l’idéologie freudienne. On remplaça l’hystérie chère à Freud par de nouveaux vocables utilisés mal à propos : bipolarité, dépression, trouble borderline, anorexie, phobie sociale, etc., histoire de continuer de mettre la pression sur les femmes en évitant surtout de leur attribuer le juste diagnostic, « chasse » réservée au sexe masculin : l’autisme et le syndrome d’Asperger. L’histoire du « cerveau hypermasculin » faisant partie du tableau : c’est vrai quoi… le cerveau autistique est souvent présenté comme « couillu », alors dans la tête d’une femme, ça fait désordre !

Notre pays est sexiste, jusque dans les processus de diagnostic clinique de l’autisme : il faut savoir que quand on est une femme, tout sera fait pour tenter d’éviter l’évocation d’un syndrome d’Asperger au profit de diagnostics fantaisistes et posés à la hâte de bipolarité, de dépression, d’anorexie, de troubles borderline ou de personnalité divers : les femmes, c’est bien connu, ont certes une personnalité, mais pas de cerveau. Il n’est plus d’usage de les dire hystériques alors il faut bien leur trouver quelque chose (et tant qu’à faire leur prescrire des potions diverses, vantées par le dernier « visitueur » médical venu).

Les hommes, eux, ont un cerveau. D’ailleurs ils ont raison : ça peut aider. Même quand on est une femme.

Dans le genre « trouble du cerveau », on a en magasin : autisme ou schizophrénie. C’est bien la schizophrénie : c’est un truc de mec intelligent. Dans les années 70, en psychiatrie, si tu étais doué pour les échecs et que tu « pétais un plomb », on t’étiquetait schizophrène et on te (sou)mettait aux neuroleptiques. C’était le truc à la mode à cette époque. Maintenant, on veut bien te concéder l’autisme ou le syndrome d’Asperger (version étoilée). Parce que là encore, ce sont des « pathologies » pour « nous les hommes ». Un peu comme une marque de déodorant réputée sentir le mâle.

Mais les femmes, non. Les femmes n’ont pas de cerveau. Elles ont juste des nerfs régulés par leurs fluctuations hormonales. Alors la bipolarité au lance-pierre, c’est pour elles. Et on les soumet au lithium. C’est bien le lithium : ça régule les femelles, paraît-il. Mangez-en !

Et si une femme émet un doute quand au diagnostic de bipolarité qu’on veut lui coller en seulement deux entretiens**,comme elle n’a pas de cerveau, on lui rétorque que ses « nerfs » sont la cause de son désordre, que c’est de la faute de ses parents qui ont divorcé quand elle avait neuf ans et qu’elle est en phase maniaque ou hypomaniaque. Normal : les femmes ça ne peut pas réfléchir puisque ça n’a pas de cerveau. Ça peut juste être agitée en phase « up » et déprimée en phase « down ». Et si elle n’a pas de phase « up », on va lui dire qu’elle est bipolaire de type III : une nouvelle classification bien pratique pour faire entrer de force la victime dans la case « bipolo » même si elle n’en a aucune des apparences réelles (et c’est ce qu’on appelle : « monopolarité ». C’est nouveau, ça vient de sortir !). Tout, tout, tout, mais surtout rien qui ne soit lié au cerveau ! (Dans leur imaginaire, bien sûr : ils savent bien que les femmes et les bipolaires ont un cerveau, mais disons que dans leur esprit tordu, c’est un cerveau négligeable). Eh oui… « Les cons, ça ose tout… » disait Michel Audiard.

En gros, et en version « malpolie », c’est : « faites pas ch… avec vos idées d’autisme/SA, sinon je vous colle bipolaire ! »… Parce que dans les faits, c’est ça.

Dans les faits, ils ne connaissent rien à l’autisme, juste un peu à la bipolarité, alors ils collent l’étiquette qu’ils connaissent un peu, pour ne pas perdre la face en avouant qu’ils sont ignares de ce que sont l’autisme et le SA.

Bref. Dans les deux cas, on castre tout le monde et « les oies seront bien gardées ».

Avec l’autisme c’est un peu plus compliqué : on ne peut pas les droguer ni les rendre dépendants. C’est moins vendeur.

Aussi, quand une femme manifeste un QI hors norme, des dispositions en mathématiques et en intelligence spatiale… on dit d’elle qu’elle a un « cerveau masculin », voire un cerveau « hyper masculin » (si elle cumule cela avec l’autisme). Parce qu’un tel cerveau, ça ne peut pas être un cerveau de femme. Non, non !

Bref. En psychiatrie, dans les CMP… tout est fait pour cantonner les femmes à leur place de créatures inférieures.

Et quand on lit et entend que le syndrome d’Asperger ne concerne que deux femmes sur dix aspies (pour ne pas dire que selon certains, le SA n’existe pas chez les femmes) on peut se dire que l’idéologie freudienne continue d’obscurcir l’entendement de bien des praticiens Français.

La violence psychiatrique et psychologique envers les femmes sévit encore lourdement dans les milieux concernés (psychothérapeutes, psychologues, psychiatres, CMP et autres CRA à la traîne). Mais les réseaux sociaux fourmillent de revendications allant dans le même sens : ces milieux sont outrageusement sexistes et il faut que ça cesse.

Alors, dans ce contexte : se battre pour soutenir la recherche sur l’autisme est en soi un combat, mais aussi un combat féministe.

Le temps des hystériques, des mères crocodiles, est révolu ; celui des tripatouilleurs de femmes sans cerveau s’accroche encore aux branches… du n’importe quoi pourvu que ça coupe les têtes, de la castration cérébrale en somme (avec lavage chimique des cerveaux, puisque c’est permis)… Mais ça ne pourra pas durer.

De plus en plus de femmes y veillent, ne sont plus disposées à se laisser manipuler de la sorte.


(*) Le mot « féministe » est employé ici dans le sens d’anti-sexiste. Il ne s’agit évidemment pas d’un emploi de ce mot dans un sens sexiste revendicatif d’une quelconque primauté du féminin sur le masculin.
(**). – Aux dernières nouvelles, il semble que l’opiniâtreté soit payante… Et il s’avère qu’elle l’est !
© Blandine Messager – avril 2016

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

cinq × 3 =