Témoignage d’Asperger (par Jean Michel Devezeaud) [via Devezeaud.eu]

Source : http://temoignage-asperger.devezeaud.eu/


Transformation terminée

Voilà qu’après trois ans d’écriture de ce blog, j’ai eu l’occasion de pouvoir éditer mes écrits en version papier. Écrire un livre est quelque chose que j’avais envie de faire depuis longtemps et je ne me rendais pas compte en écrivant ce blog que c’était en train de se faire petit à petit.

Le travail de réécriture pour passer de l’état de blog à celui de livre ne s’est pas fait sans douleur, mais c’était partagé avec mon éditrice, Françoise Ayzac, que je remercie chaleureusement au passage pour ses nombreuses heures de travail.

Je suis heureux de vous présenter « Le Hibou-Fusée », la version livre de mon blog, que vous pouvez commandez dès aujourd’hui à la maison d’édition « À la fabrique », à cette adresse :

Le hibou-fusée, du handicap à la liberté

J’y raconte mon évolution, de quelques mois après le diagnostic à aujourd’hui, comment je suis passé d’une vision de l’autisme « maladie et handicap » à celui de personne différente libre d’être elle-même. C’est mon regarde d’autiste, vu de l’intérieur.

Je remettrai quelques pages du blog prochainement, mais l’intégralité du blog ne sera republié que dans trois mois.

Bonne lecture !

Bonjour,

comme la chenille devient papillon, mon blog subit actuellement une certaine… métamorphose.

Revenez mardi 6 décembre pour en savoir plus.

À bientôt !

Autiste, mêle toi de tes affaires !

Il y aura toujours des gens qui ne te comprendront pas, c’est normal, c’est parce que leur organisation mentale est différente de la tienne, et c’est pour la même raison que tu ne les comprends pas.
Il y aura toujours des médecins psychiatres qui seront négligents avec leur travail et qui n’auront pas envie de se tenir informés pour rester compétents.
Il y aura toujours des proches qui seront eux-mêmes en quelque sorte autistes envers toi, enfermés dans leur monde plein d’a priori, de connaissances médicales niveau doctissimo, et qui pensent que tout fonctionne à coup de pied au fesses, parce qu’eux même ne sont que du bétail habitué à ne pas s’écouter afin de pouvoir obéir aux ordres d’un autre.

Si donc tu passes… ou plutôt tu perds, tout ton temps à essayer de convaincre ces gens de ce qu’est vraiment l’autisme alors que tout laisse croire qu’ils n’en n’ont rien à faire, alors tu ne t’occupes pas de toi, comme tu as fait toute ta vie en essayant d’être comme eux pour ne pas les perturber.
As-tu vraiment envie, après avoir passé la moitié de ta vie à essayer de leur plaire, de passer l’autre moitié à les convaincre de quelque chose que tu ne pourras pas leur montrer et qui restera théorique, parce que tu n’auras jamais pris le temps de le vivre ?

Je peux comprendre cette démarche quand on vient de comprendre qu’on est autiste, ou quand on vient d’avoir un diagnostic, car le besoin de justice nous amène à vouloir prouver qu’on ne se trompait pas, alors que tout le monde nous accusait de paresse ou d’imposture, mais il ne faut pas trop longtemps s’installer dans cette démarche qui ne mène nulle part.

Être autiste, c’est une façon d’être, ça se vit,

Tu as une vie à te réapproprier, tu as un monde à conquérir, as-tu vraiment besoin de chercher auprès des autres un assentiments qu’ils ne te donneront jamais ? Parce qu’ils attendent que tu fasses tes preuves en t’en emparant !

Vis ta vie et ne te préoccupes pas des autres, c’est le seul moyen de leur prouver que tu as raison.

« Rien de ce qui résulte du progrès humain ne s’obtient avec l’assentiment de tous, et ceux qui aperçoivent la lumière avant les autres sont condamnés à la poursuivre en dépit des autres. » (Christophe Colomb)

Et vous, qui dites vous que vous êtes ?

Cela fait un moment que je n’ai pas écrit ici, car j’ai l’impression d’avoir fait le tour de tout ce que j’avais à dire. J’ai écris ce blog pour garder un témoignage de cette période de transition qui a marqué ma vie, pour passer de la période d’ignorance de soi à la période de connaissance de soi, libératrice.

Asperger, pour moi, aujourd’hui, ne nécessite plus vraiment un débat, et je me demande même s’il faut vraiment en faire un combat, dans le sens où c’est une histoire personnelle, et non pas publique, et qu’il faut que les aspergers se réapproprient leur façon d’être. Ça n’empêche pas qu’il faut les aider à s’assumer pour qu’ils ne souffrent plus (et les aspergers entre eux sont les mieux placés pour apporter cette aide), en les aidant à se connaître, à se comprendre eux-mêmes et à s’accepter, et même mieux encore, à s’apprécier comme ils sont. On a tord de penser que c’est un problème de société. La façon de faire de la société n’arrange rien, bien évidemment, mais elle n’est pas responsable de tout. Je suis persuadé que les aspergers ont tout ce qu’il faut entre les mains pour pouvoir trouver leur place dans la société, à leur manière. Mais comment être aimé, quand on ne s’aime pas soi-même ? Comment être apprécié si on ne s’assume pas ? Comment être compris, si on ne se comprend pas ? Une fois que le travail de compréhension a été fait, il n’y a plus grand chose à dire. Le temps où je me présentais comme asperger est révolu. Aujourd’hui je suis moi. Asperger, bien sûr, c’est évident, mais c’est moi avant tout.

Je comprends un peu mieux les gens qui me disaient qu’il ne voulaient pas que je m’enferme dans une étiquette. Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que pendant un temps, j’en ai eu besoin, pour trouver mes repères, pour me définir, pour savoir qui j’étais. Car quand on fonctionne autant à contre courant, ça n’est pas évident de pouvoir se deviner. Je garde quand même cette étiquette comme un joker à sortir en cas de situation difficile. Si on ne me comprends pas, ou si je réagis mal à quelque chose, je peux expliquer que je suis asperger et en quoi cela consiste, ça m’évitera d’être harcelé. Mais j’aime aussi les défis et je ne veux pas en rester là. Ce n’est pas pour autant que je vais à nouveau tenter de vivre des choses pour lesquelles je ne suis pas fait (la vie de couple par exemple, qui ne me fait pas envie et qui ne me manque plus), mais j’apprécie, dans une certaine mesure, d’être provoqué, d’être attiré sur un terrain que je ne maîtrise pas, d’être ébranlé momentanément dans mon fonctionnement, histoire de voir le monde un peu autrement, juste pour un temps, comme de petites escapades hors de mon monde intérieur si riche.

J’ai découvert aussi que j’avais des gens formidables autour de moi, qui sont capables de tout entendre sans me juger, et qui m’apprécient vraiment pour mon originalité. Ceux qui n’ont pas pu entendre se sont écarté d’eux-mêmes, et ce n’est peut-être pas plus mal. Il fallait pour cela que je cesse de me cacher et que je me dévoile comme je suis.

Le plus grand ennemi des aspergers, c’est leur peur d’être eux-mêmes, qui les empêche d’accepter le fait qu’ils sont hors du commun, et personne ne peux changer ça à part eux-mêmes. Une fois qu’on a fait le pas, qu’on a montré qu’on s’assume comme on est, beaucoup de choses rentrent dans l’ordre et on fini par être respecté.

Un jour viendra, j’espère, mais ça n’est pas pour demain, où on aura plus besoin de diagnostic, ni de reconnaissance de handicap (on a juste besoin d’une reconnaissance de différence, c’est tout), chacun sachant pour lui-même s’il est asperger ou pas, et comment orienter sa vie en fonction de ça. Vouloir un diagnostic et une reconnaissance de handicap ne doit pas être une fin en soi (c’est juste pratique dans la société actuelle, mais ce n’est pas idéal), et il est d’ailleurs étonnant qu’on rappelle sans cesse qu’être asperger n’est pas une maladie, tout en envoyant systématiquement les gens se faire diagnostiquer ! Cela faisait un petit moment que cette idée me trottait en tête, voilà qui est dit !

Je conseille souvent aux adultes qui se demandent s’ils sont asperger ou pas, de tenter le coup. Quel est le risque après tout ? Personne ne peut vivre comme un asperger sans l’être vraiment. Au moins, en essayant, on est fixé. Il n’y a de toute façon aucun « risque » de le devenir, car on l’est, ou on l’est pas. Soit c’est une façon d’être qui nous correspond, et en essayant, c’est libérateur, soit ça ne nous correspond pas et on s’en trouve très mal.

Et pour les proches des personnes qui s’interrogent : laissez-les vivre leur expérience. Si ça apporte quelque chose à quelqu’un de se dire « je suis asperger », alors c’est plutôt positif ! Et si vous, ça vous gène, parce que vous y perdez quelques chose (ce que je peux comprendre car la vie peut radicalement changer quand on se découvre asperger), alors dite le simplement, exprimez ce qui vous trouble. Si votre conjoint se renferme sur lui-même parce qu’il est obsédé par la question du syndrome d’Asperger, dite lui qu’il vous manque, plutôt que de saper le travail de découverte qu’il est en train de faire sur lui-même en utilisant vos doutes comme moyen détourné de rétablir une situation qui vous convenait mieux avant. Et s’il se trompe, ça aura au moins permis d’éliminer une hypothèse, et donc de faire avancer les choses.

Alors ne vous demandez plus si vous êtes asperger ou pas. Vivez-le, et l’expérience vous le dira. Tergiverser en attendant un rendez-vous chez un psychiatre ne fera pas forcément avancer les choses, parce que même après, j’en connais certains qui ont encore des doutes, parce que « peut-être que le psy n’y connais rien » et puis « sur tel détail ça ne me correspond pas », etc. N’attendez pas des autres qu’ils vous disent qui vous êtes. Vous seul le savez. Asperger n’est qu’un mot qui définit une façon d’être, qui explique des particularités sans avoir à en dresser laborieusement toute la liste (qui est très longue), c’est juste une facilité pour expliquer, pas une facilité pour le vivre. Et se présenter comme asperger diagnostiqué avec une reconnaissance de handicap, c’est encore une manière de s’excuser d’exister. Et il y a mille manières d’être asperger, puisque c’est un spectre autistique, donc vous trouverez toujours une différence avec un autre asperger qui pourra vous faire douter.

Et si moi j’ai eu besoin d’un diagnostic pour faire toute cette démarche, dont ce blog est le témoignage, c’est parce que personne ne m’avait dit ce que j’ai écris ici. Et maintenant, il est temps que les choses avancent, parce… que je supporte pas quand ça stagne !

Pourquoi les autistes ont besoin d’identité ?

Les gens qui posent cette question, pour la plupart, ne doivent pas avoir beaucoup eu le sentiment d’être différent dès l’enfance, d’avoir vécu hors du groupe. Lorsque les gens grandissent en cohésion, plus ou moins forte, plus ou moins parfaite, avec leur groupe, leur démarche, en se développant, sera davantage de s’extraire du groupe, de sortir du lot, de se démarquer. D’où ce conseil souvent donné aux autistes par eux : « on est tous différent, on est tous unique, pourquoi vouloir s’identifier à un groupe ? Moi, je suis simplement moi ! ». Pour un autiste au contraire, qui depuis la maternelle à peu près, n’a pas su trouver sa place au sein du groupe, parce que le groupe lui a bien fait sentir qu’il était différent, et lui même a bien senti qu’il était mal à l’aise avec les autres, la question de l’identification au groupe prend toute son importance.

On retrouve exactement le même problème dans le cadre du manque de gestion de l’immigration. Des enfants, issus de familles étrangères, mais nés en France, ne sont pas complètement reconnus comme français, mais lorsqu’ils vont visiter le pays d’origine de leurs parents, ils sont considérés comme français. En fait, ils ne sont tout simplement plus rien aux yeux des autres, ils n’ont plus leur place dans le monde, ils restent des étrangers partout sur Terre, même si pratiquement, ils forment une entité à part, un groupe à part, pour ainsi dire une nouvelle communauté.

C’est ce que j’ai vécu aussi : le groupe me fait bien sentir qu’il y a quelque chose qui cloche, que je ne suis pas comme eux, que je n’appartiens pas à leur société, mais lorsque je me suis adressé aux psychiatres et psychologues, on ma toujours dit « tout va très bien, vous vous posez trop de questions sur votre santé mentale ». L’autiste donne un peu l’impression de flotter dans l’espace, relié à rien, perdu dans le vide, alors que tous les autres rêvent d’aller dans l’espace, déplorant d’avoir toujours les deux pieds enracinés dans le sol. Nier ce besoin fondamental d’appartenance, c’est renier la personne elle-même, nier ses droits fondamentaux, le droit fondamental d’avoir des repères sociaux.

A tous les aspergers non-diagnostiqués

Je suis très touché par plusieurs témoignages sur le groupe Facebook « Nous les Aspergers« , où on voit bien dans quels tourments se trouvent ceux qui n’ont pas la chance (parce qu’il s’agit vraiment de chance dans certains cas pour accéder à un professionnel compétent en matière d’autisme) d’avoir un diagnostic. Ce qui fait très peur aux aspergers non-diagnostiqués, c’est le fait de ne pas être sûr, la peur de se faire des illusions, le sentiment de ne pas être légitime, de se tromper, de ne pas assez s’y connaître en psychologie pour être certain. Le manque de confiance en soi typique des aspergers va jouer ici un rôle écrasant. Mais on n’est pas tous asperger de la même façon, il y a des nuances. Et puis, les aspergers non-diagnostiqués, en écrivant, en se confiant, voient les autres, ceux qui sont diagnostiqués, valider ou pas ce qu’ils disent. C’est un début de communauté et c’est la communauté qui valide ou pas, implicitement, la qualité d’asperger chez une personne. Si on ne dit rien, c’est que tout va bien !

Il faut souvent du temps, parce qu’il ne suffit pas d’avoir souffert d’exclusion durant l’enfance pour dire « c’est un(e) asperger ! » Mais si on s’intègre parmi les aspergers, sans décrocher au bout de plusieurs mois, et qu’on évolue même, dans ce milieu atypique, en y prenant de plus en plus d’assurance, pour moi ça vaut un diagnostic officiel. J’ai connu l’errance diagnostique pendant plus de 20 ans. J’ai envisagé plusieurs pistes, jamais satisfaisantes à long terme. Depuis mon diagnostic d’asperger, ma quête a pris fin et ma vie a commencée. Si on se stabilise dans cette idée qu’on est asperger, si c’est apaisant, c’est plutôt un très bon signe ! Si on ne l’est pas, ou si on a un trouble associé, on aura besoin d’aller chercher encore ailleurs. Je sais que rares sont les aspergers qui ont assez confiance en eux pour pouvoir se permettre de ne pas avoir besoin d’un diagnostic officiel. C’est une exigence intellectuelle assez typique des aspergers, bien qu’elle ne soit pas systématique, c’est quand même très courant. Les aspergers se reconnaissent souvent entre eux j’ai l’impression. Il y a une affinité, un courant qui passe, une facilité qu’il n’y a pas avec tout le monde. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai dans 100% des cas, mais je l’ai souvent vu.

L’histoire du « vilain petit canard » est particulièrement parlante pour moi. J’ai voulu croire plus d’une fois que j’avais trouvé ma « communauté », les gens comme moi, mais sans jamais m’y intégrer vraiment. Et le jour où je rencontre les « cygnes », je ne voulais pas y croire.

La relecture de ce passage m’incite à le citer tellement il fait sens à mes yeux et me rappelle des souvenirs :

« Et voilà que, devant lui, sortant des fourrés trois superbes cygnes blancs s’avançaient. Il ébouriffaient leurs plumes et nageaient si légèrement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une étrange mélancolie s’empara de lui.
– Je vais voler jusqu’à eux et ils me battront à mort, moi si laid, d’avoir l’audace de les approcher ! Mais tant pis, plutôt mourir par eux que pincé par les canards, piqué par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour !
Il s’élança dans l’eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. À son étonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigèrent vers lui.
– Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tête vers la surface des eaux.
Et il attendit la mort.
Mais alors, qu’est-ce qu’il vit, se reflétant sous lui, dans l’eau claire ? C’était sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud… il était devenu un cygne ! ! !
Car il n’y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couv
é dans un œuf de cygne ! »

Un dernier petit message, pour les personnes qui viennent en aide aux autistes (« portent secours aux autistes » seraient même plus exact vu la situation) : quand on est autiste, on l’est aussi avant le diagnostic. Soyez prudents.

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